BONUS – Toujours moins !
L’AGEFI Hebdo – 16/04/2015 – Par Soraya Haquani
Sous la pression croissante de Bruxelles, les enveloppes des parts variables, plafonnées depuis le 1er janvier 2015, tendent à se réduire.
Cette année, les « bonus days » ont fait grincer des dents au sein des banques de financement et d’investissement (BFI) françaises. En effet, pour la première fois, la règle du plafonnement issue de la directive européenne CRD 4 s’est appliquée aux primes variables distribuées au titre de l’exercice 2014. « Historiquement, les bonus ont été un élément essentiel de la rémunération dans les banques. Le ‘cap’ a donc un impact fort pour les plus performants parmi les salariés concernés », relèvent Claire Toumieux, associée au cabinet d’avocats d’affaires Allen & Overy, et Jean-Baptiste Madelin, avocat collaborateur.
Certes, en pratique, la règle ne vise pas un nombre important de banquiers. Mais elle contraint les établissements bancaires à consulter leurs actionnaires en assemblée générale (AG) afin de pouvoir élever les bonus de leurs « preneurs de risques » (les collaborateurs régulés) à deux fois le montant du salaire fixe. Sinon, la directive CRD 4 prévoit que le bonus ne doit pas excéder une fois la rémunération fixe. En 2014, les quatre grandes banques tricolores (BNP Paribas, Société Générale, le groupe Crédit Agricole SA et Natixis) ont respecté cette mesure du « say on pay », et vont à nouveau, lors de leurs AG de mai prochain, soumettre au vote des résolutions sur le plafonnement (chez Société Générale, l’autorisation de l’AG en 2014 est valable pour 2015). Alors que le « say on pay » est un exercice à haut risque pour des banques comme UBS ou Credit Suisse qui ont fait l’objet en 2014 de grands scandales financiers (manipulation de taux, évasion fiscale), leurs rivales françaises, elles, vont rencontrer leurs actionnaires avec davantage de sérénité. « Lors des AG, les résolutions liées au plafonnement du bonus à deux fois le salaire fixe sont largement votées. Des associations de salariés-actionnaires les votent aussi, note Olivier Dussarat, associé chez PwC Société d’avocats. Le contraire serait étonnant car seule une part réduite de salariés est concernée par cette limitation. D’autre part, un vote désapprobateur signifierait que l’on accepte de pâtir d’un désavantage compétitif énorme dans le paysage bancaire mondial. L’approbation de ces résolutions est donc devenue naturellement une pratique de place. »
Baisse des « compensation ratios »
Si le sujet provoque peu de remous aux AG des banques françaises, c’est aussi parce que leurs enveloppes de bonus évoluent dans un cadre toujours plus contraignant. Comme le disent les Anglo-Saxons, les « bonus pools » suivent un mouvement de « normalisation vers le bas » (« normalising downwards »). Chez BNP Paribas, la première à avoir publié son rapport relatif aux rémunérations au titre de 2014, les parts variables ont atteint 250 millions d’euros pour 830 « material risk takers » (les MRT, dont les dirigeants mandataires sociaux). L’année passée, elles s’étaient élevées à 240,7 millions d’euros pour… 357 collaborateurs preneurs de risques. La banque de la rue d’Antin explique ce changement de périmètre par le fait d’avoir inclus de « nouveaux collaborateurs au sein des activités de la banque de détail et des fonctions de contrôle » en raison de la modification des critères d’identification des MRT.
[…] La question du level playing field (des conditions de jeu égales pour tous) se pose d’autant plus pour les BFI de l’Hexagone que, contrairement à leurs rivales à la City, elles n’ont pas fait un grand usage des allowances, ces indemnités mises en place pour contourner le plafonnement, retoquées par l’EBA dans un rapport publié en mars dernier. « Elles ont pu avoir recours à des ‘allowances’ (primes spéciales liées à un poste) mais sur une population extrêmement réduite, à la différence des pratiques généralisées des banques anglo-saxonnes à Londres », souligne Denis Marcadet, président de Vendôme Associés. En revanche, les établissements français n’ont pas hésité à augmenter les salaires fixes de certains de leurs salariés, comme l’ont mis en oeuvre leurs concurrentes de la City dès 2010. « Les fixes de plusieurs responsables ont été relevés fin 2013, confie un banquier parisien. Le problème, c’est que le bonus constitue de moins en moins l’outil de motivation et de rétention qu’il a été. » De fait, le salaire n’offre pas la même souplesse qu’une prime variable. Surtout, en pesant sur les structures de coût, ces hausses salariales risquent d’inciter les banques à rationaliser leurs effectifs ou leurs recrutements…
L’an prochain, l’EBA va encore offrir l’occasion aux banques d’imaginer des instruments visant à contourner ses normes. En effet, après la fin de la consultation, prévue le 4 juin, portant sur ses dernières recommandations du mois de mars, le régulateur publiera en 2016 de nouvelles lignes directrices qui auront une incidence sur les politiques de rémunération du secteur bancaire. « On court toujours après le calendrier, soupire Olivier Dussarat. Souvent, les règles évoluent peu avant les versements des bonus, donc cela laisse très peu de temps pour appliquer les modalités, les expliquer aux personnes concernées… Il y a un vrai problème pratique. »
La semaine prochaine, retrouvez notre Dossier “Bonus” métier par métier
Bonus en berne à la City
A Londres aussi, c’est sans grande euphorie qu’ont été accueillies les annonces de bonus. Les cinq plus grandes banques de la City ont réduit leurs « bonus pools » de plus d’un milliard de livres (1,4 milliard d’euros), selon les calculs du Financial Times. Selon le quotidien britannique, Barclays, HSBC, Lloyds Banking Group, Royal Bank of Scotland et Standard Chartered ont attribué au titre de 2014 environ 5,5 milliards de livres (7,6 milliards d’euros) de rémunérations variables, contre 6,5 milliards de livres (9 milliards d’euros) un an auparavant, soit une baisse d’à peu près 15 % (voir aussi le graphique). A l’approche des élections législatives du 7 mai prochain, le sujet des bonus cristallise les tensions entre les conservateurs et les travaillistes. Ces derniers souhaitent durcir davantage l’encadrement de ces primes, notamment en allongeant la durée des parts différées (échelonnées actuellement sur trois ans en général). Dans ce contexte, les « fat cats » ont voulu tenter de montrer qu’ils étaient devenus plus raisonnables en matière de bonus. Il est vrai qu’après avoir eu recours de façon massive aux « allowances », ces indemnités créées pour contourner la limitation (le fameux « cap ») sur les bonus, les banques de la City ont une image à restaurer…
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