« La banque apporte quelque chose de différent à ses collaborateurs »
L’Observatoire paritaire des métiers de la banque, le plus important groupe bancaire de France et le cabinet de chasse de têtes spécialisé dans la finance depuis plus de 35 ans : Revue Banque a recueilli et confronté ces trois points de vue sur le recrutement et l’emploi en 2024, dans tous les métiers et à tous les niveaux.
Interview croisée de Pierre-Henri Havrin, directeur du recrutement et de la mobilité de BNP Paribas en France, Béatrice Layan, responsable de l’Observatoire des métiers de la banque, et Denis Marcadet, fondateur de Vendôme associés
Les établissements bancaires rencontrent-ils des difficultés à recruter ?
Béatrice Layan (B.L.) : Le secteur bancaire recrute à un haut niveau de diplôme : 57 % à un niveau bac+4/5. Il n’échappe pas aux tensions sur le marché de l’emploi. Les jeunes les plus diplômés ne se dirigent pas forcément vers la banque, notamment parce qu’ils ne la connaissent pas : ils se représentent l’agence du quartier. Or la banque englobe plus de 200 métiers. Nous organisons des opérations de découverte des métiers bancaires dès le collège et le lycée. Lorsque les jeunes entrent dans la banque, notamment par le biais de l’alternance, ils y reconnaissent les valeurs recherchées. Le secteur présente une qualité de vie au travail et des rémunérations correctes. L’enjeu consiste ensuite à fidéliser les jeunes, et donc à leur proposer ce qui correspond à leurs attentes. Les jeunes sont souvent pressés.
Denis Marcadet (D.M.) : Notre cabinet dédié à l’univers bancaire et financier, dont tous les collaborateurs sont issus, intervient dans la recherche de spécialistes, managers et dirigeants. Dans les années 90, 95 % de notre activité émanait du secteur bancaire, principalement de la banque d’investissement, contre 20 % aujourd’hui. Évolutions sociétales, cycles et crises économiques ont modifié le paysage de l’emploi, avec des transferts de compétences bancaires vers des activités et des secteurs connexes (asset management, boutiques M&A, private equity, etc). Exotique dans les années 90, une mobilité banque industrie est aujourd’hui naturelle, la fluidité entre métiers et secteurs est une réalité. Les compétences bancaires nourrissent la finance d’entreprise comme l’univers de l’investissement ou du conseil, sans omettre la création ou la reprise d’entreprise.
Pierre-Henri Havrin (P.-H. H.) : Je souscris aux propos qui ont été tenus. Je considère néanmoins que l’attractivité de BNP Paribas reste assez forte car chaque année nous parvenons à réaliser notre plan de recrutement. Cependant, le marché est plus exigeant et plus concurrentiel. Il nous appartient donc de mieux faire connaître nos opportunités. Nous recevons d’ailleurs de nombreux CV chaque année, et nous devons pour cela être présents sur de nombreux canaux. Le marché de l’emploi est dynamique, presque de plein-emploi pour les profils qui nous concernent. Nous devons séduire davantage et montrer ce que nous pouvons apporter.
Quels sont ces profils ?
P.-H. H. : Nous recrutons majoritairement des profils bac+2 à bac+5 sur les métiers du commerce. La banque n’est pas forcément la plus spontanée des options qui s’offrent aux jeunes générations : à nous de montrer qu’elle apporte quelque chose de différent. C’est ce que nous faisons lorsque nous expliquons nos métiers aux étudiants dans les écoles ou sur les forums. Chaque année, nous opérons entre 6000 et 7000 recrutements, tous types de contrats confondus, dont plus de 2000 alternants. De plus, nous faisons le pari des graduate programs à l’international. Notre capacité à réaliser les plans de recrutement définis par les métiers est entière. Les profils changent. L’informatique prend de plus en plus de place dans l’activité bancaire, et la concurrence est très forte sur ce créneau. À nous de montrer qu’il est intéressant de faire de l’IT dans la banque.
D.M. : Un important travail de branding reste à effectuer. Pour les candidats recherchés, la banque n’est pas la sortie naturelle. Sur leurs métiers historiques les entreprises financières doivent innover, se vendre et mettre leur offre au niveau de la réalité du marché. Sur les thématiques novatrices (sécurité financière, data, paiements, etc.), la banque qui offre une forte capacité de recherche reste par contre extrêmement attractive. Il existe une vraie dichotomie entre les métiers traditionnels, pour lesquels il faut réinventer le marketing et l’offre et les métiers nouveaux.
La banque de financement et d’investissement (BFI) est-elle aussi attrayante qu’avant 2008 ?
P.-H. H. : Dans les forums-écoles, nos offres sur les métiers de la banques d’affaires font toujours le plein. Nous recevons de très nombreux CV auxquels il n’est malheureusement pas toujours possible de répondre favorablement malgré la qualité des candidatures. BNP Paribas est très bien positionnés en BFI, le marché et les candidats le savent. La qualité de notre franchise, de nos expertises et la connaissance du savoir-faire en termes d’apprentissage au sein de BNP Paribas rayonnent auprès de la place. Nos concurrents savent que nos alternants et nos collaborateurs sont bien formés. Ceux-ci sont donc des « cibles », mais nous assumons notre choix. Et c’est une fierté !
Gestion d’actifs, risques, conformité, etc. Quels sont vos besoins ?
P.-H. H. : Nous recrutons sur la totalité de nos métiers. Ceux du développement commercial et de la relation client restent les plus importants en volume, suivis par les métiers de l’informatique et de la data. Nos programmes avec des grandes écoles d’ingénieurs ont été montés pour des métiers de l’IT et des business analysts par exemple. Nous utilisons également la mobilité interne pour susciter des vocations vers les métiers IT. Par ailleurs, les métiers du contrôle, comme la conformité, font aussi l’objet d’actions de staffing. Tous les métiers donnent lieu à des recrutements, avec des volumes variables.
B.L. : Dans la banque, un recrutement sur deux concerne le commerce et la relation client. 13,5 % des recrutements concernent ensuite l’IT. Enfin, la troisième place du podium est occupée par la conformité.
D.M. : La BFI ne bénéficie plus de la même aura mais elle peut rester attractive. les activités de financement, les marchés de capitaux, la gestion d’actifs ou le M&A restent des écoles de formations aux yeux des juniors… mais la façon de concevoir et déployer cet apprentissage est cruciale à leurs yeux. Savoir accompagner et fidéliser les talents devient un enjeu majeur. Nous recrutons des spécialistes et managers tant en font office que dans les fonctions supports (notamment risques, conformité, IT), particulièrement en gestion d’actifs ou la demande est récurrente et par ailleurs sommes très sollicités dès qu’un nouveau métier émerge, ce avant que les organisations bancaires se mettent en marche pour opérer leurs propres recrutements. Être en éveil sur les métiers et spécialistes de demain est pour nous un pré requis. Par ailleurs post-Covid les attendus des cadres bancaires et pas seulement des jeunes générations sont forts quant à l’environnement de travail et l’esprit d’entreprise, le mode managérial et l’autonomie de fonctionnement. Un manager doit savoir donner envie et du sens… Lors d’une chasse nous avions identifié un profil senior qui n’était pas nécessairement ouvert à une mobilité mais dont l’adéquation avec le donneur d’ordre était telle qu’une belle histoire les attendait. L’affaire s’est effectivement conclue et les premiers mois en ont confirmé le bien-fondé. Une réorganisation groupe a conduit au départ du donneur d’ordre et trois mois plus tard à celui du cadre recruté, le successeur ayant repensé le mode de gestion. L’institution n’a pas voulu le comprendre, jouant le poids de la marque et le statut de l’employé. Or on rejoint de plus en plus une entreprise pour répondre à un projet, vivre une aventure avec une ou des personnes qui la représente et non pour le seul patronyme de l’entreprise. Il appartient aux organisations d’en accepter le principe, de faire preuve d’humilité et de mettre en avant le côté épicurien qualitatif, plutôt que la grande machine anonyme.
Attirez-vous de nouveaux profils, pour des postes « green » par exemple ? Proposez-vous un accompagnement pour des postes spécifiques ?
P.-H. H. : De manière générale, la transition écologique que nous accompagnons touche toutes les entreprises et tous les salariés. Nous avons besoin de nouvelles compétences pour accompagner nos clients. Pour cela, nous avons développé une académie au sein du Groupe pour permettre aux collaborateurs de monter en compétence sur les sujets de finance durable et de mieux accompagner nos clients en matière de transition écologique. Plus largement, nous avons engagé une transformation de nos métiers avec nos collaborateurs actuels. Ainsi, nous développons l’alternance interne pour nos collaborateurs en CDI. Sur la base des rôles de demain, nous cherchons à leur proposer des formations en alternance durant une période de quelques mois à une année pour leur permettre d’acquérir les compétences propres à certains rôles.
L’Observatoire permet-il de suivre les évolutions de carrière ?
B.L. : Nous avons mené une étude sur les mobilités dans le secteur bancaire en 2022. Parmi les mobilités, nous avons constaté que 20 % d’entre elles sont atypiques. On compte nombre de collaborateurs issus des lignes métiers du réseau ou des fonctions support qui rejoignent les métiers de l’IT. Les besoins en IT sont en effet élevés. Au-delà des recrutements externes, la formation des collaborateurs internes permet de répondre à une partie des besoins. Certaines entreprises montent des programmes certifiants, avec des écoles. Dans son ensemble, la mobilité a toujours été une force du secteur bancaire et fonctionne encore. Ce secteur est capable d’offrir plusieurs opportunités de jobs aux salariés qui le souhaitent. La formation est dans l’ADN de la banque depuis très longtemps. La formation représente 4,2 % de la masse salariale, soit plus de 5 millions d’heures de formation et 488 millions d’euros. Sur un plan macroscopique, un collaborateur, en moyenne, bénéficie de 28 heures de formation par an. Ce chiffre inclut les formations réglementaires, mais aussi des formations métier.
Les mouvements entre établissements français et depuis ou vers des banques étrangères sont-ils significatifs ?
D.M. : Le marché est fluide. La place de Paris a bénéficié du Brexit : les banques étrangères y ont investi. Lorsque je travaillais pour les banques Anglo-saxonnes dans les années 90, les cadres issus de banques françaises, à leurs yeux tiers 2, n’étaient pas leurs cibles. Les temps ont bien changé, la solidité de nos institutions et la qualité des cadres sont unanimement reconnues, une banque comme BNP Paribas est extrêmement attractive. En 30 ans les banques françaises ont acquis crédibilité et considération, reste pour un cadre très performant la réalité d’un différentiel salarial en défaveur de nos institutions. Désormais, l’enjeu pour les professionnels réside dans les projets, les équipes, la quête de sens. La seule appellation (BNPP, UBS, BOAML, ING…) n’est plus un critère déterminant en soi. Gouvernance, politiques ESG, thématiques de flexibilité interne sont examinées avec soin. Les DRH ont le souhait de fidéliser, sécuriser et redonner du sens mais face à eux les tempéraments sont libérés, avec notamment pragmatisme et impatience pour les jeunes. Si une offre différenciante leur est soumise, ils l’examinent. Ils sont prêts à remettre en question leurs regards. En tant que chasseur, avec le candidat nous partageons les réflexions, apportons de la sérénité et testons l’ensemble des hypothèses pour qu’il décide à bon escient, avec la société que nous représentons nous sommes entre autre son expression, un outil marketing et le rapporteur éducatif d’un marché.
La culture d’entreprise est propre à chaque groupe…
D.M. : Elle est beaucoup moins globale que par le passé. L’intimité d’une direction ou d’un département est rapidement priorisée. L’enjeu RSE, la novation et le mode de pilotage des transformations sont importants. Les salariés arrivent avec des exigences qui ne se limitent pas au métier. La banque doit
être mise en scène et présenter des arguments qui vont bien au-delà du métier.
B.L. : À une époque, les individus rentraient dans la banque pour faire carrière. Aujourd’hui, ce modèle ne correspond plus aux aspirations des jeunes.
Cependant, ces derniers sont très sensibles à de nouveaux projets réguliers, sur des périodes de trois ou quatre ans.
P.-H. H. : La mobilité est une réalité dans une organisation de notre taille, avec la diversité de nos métiers. Mes équipes sont d’ailleurs en charge des recrutements externes mais aussi de la mobilité interne pour tout le Groupe en France. Nous mettons ce point en avant lors des recrutements. Par exemple Nickel, une entité du Groupe BNP Paribas qui permet d’ouvrir des comptes chez les buralistes, a une culture très entrepreneuriale, avec des atouts et un intérêt pour les collaborateurs consistant à faire partie d’une aventure qui n’existait pas il y a dix ans. On peut intégrer le Groupe pour un métier et évoluer dans un autre quelques années plus tard. Peu d’organisations peuvent proposer ce type de perspectives aux collaborateurs. D’ailleurs, la culture et l’environnement managérial sont des éléments déterminants pour la rétention, nous le travaillons donc fortement. À défaut d’un plan de carrière, les collaborateurs attendent des perspectives d’évolutions. Nous organisons 10.000 mobilités chaque année, pour 55.000 salariés en France. Dans un cas sur quatre, il s’agit d’une mobilité transversale : depuis le réseau d’agences vers notre métier d’assureur Cardif ou la banque d’affaires, par exemple. Cette porosité entre les métiers est organisée depuis quelques années avec un modèle de staffing centralisé. Cela nous permet de décider en fonction des besoins de tous les métiers et de toutes les compétences disponibles.
Certains métiers sont-ils genrés ?
B.L. : Le secteur témoigne de sa mixité : 57% des collaborateurs de la banque sont des femmes et 62% des femmes sont cadres. Certains métiers sont genrés, ce n’est pas une spécificité de notre secteur. La féminisation des différents métiers incombe à l’Education Nationale et l’enseignement supérieur. Les jeunes femmes ne sont pas assez emmenées dans les filières scientifiques. Le sujet n’est pas sectoriel, mais de société. Les établissements bancaires travaillent notamment avec les écoles pour faire bouger les lignes et augmenter la part des femmes dans les cursus scientifiques et mathématiques.
P.-H. H. : L’informatique est un métier très masculin en France, dans la banque comme ailleurs. En effet, la formation initiale produit entre 75% et 85% d’hommes en sortie d’école d’ingénieur. Nous nous efforçons,
dans nos recrutements, de renforcer la part des femmes et rétablir plus de mixité. Nous devons peser sur la société et être présents auprès des écoles pour relayer nos exigences. Par exemple, nous avons développé notre propre école en alternance au sein de BNP Paribas, baptisée B-School by BNP Paribas, qui propose deux diplômes informatiques et dont la première promotion a été strictement paritaire. Pour d’autres métiers, le déséquilibre est inversé, comme c’est le cas des ressources humaines. Nous croyons en la force de la diversité et en ce que chacun peut apporter.
D.M. : Ces trois dernières années, on nous a demandé dans 80% des chasses de mettre l’accent sur la mixité, pour qu’une femme soit retenue. Malgré tout, certains métiers sont toujours très masculins (trading, fusions-acquisitions, notamment) et dans les banques d’affaires les modes et plages horaires de travail sont souvent difficilement compatibles avec les attendus d’une mère de famille. On note que nombre d’institutions cherchent à revisiter leur modèle.
Quelles sont les tendances de l’emploi pour 2025 ?
B.L. : La banque est un secteur qui bouge lentement. Les évolutions sont peu marquées d’une année sur l’autre. Nous constatons que le marché se stabilise. Le turn-over a diminué au cours de l’année écoulée. Les recrutements restent néanmoins élevés, toujours sur les mêmes lignes métier, notamment sur les métiers de l’IT (et de la data) qui poursuivent leur progression. La banque est une industrie technologique de haut niveau. Elle a donc besoin de recruter. Par ailleurs, la banque est un secteur où l’ascenseur social fonctionne, notamment pour les profils recrutés. Elle intègre des profils différents, avec moins de diplômes mais qui sont accompagnés pour grandir.
P.-H. H. : Chez BNP Paribas, plusieurs milliers d’emplois sont à pourvoir. Nous recrutons des profils issus de tous horizons, du baccalauréat au bac+5. Tout le monde peut intégrer un grand groupe comme le nôtre, avec de la détermination et une capacité à travailler en équipe. Nous continuerons à nous placer dans une dynamique intense avec nos 300 métiers. Le volume s’opère sur le commerce et la relation client, même si la technologie prend de plus en plus de poids dans nos métiers. La transition écologique est un projet porteur pour tous les profils, juniors comme plus seniors. Tout le monde peut trouver sa place au sein du groupe.
D.M. : Difficile de se projeter au vu du contexte socio économique. Mais toutefois on assiste à un retour en légère grâce des établissements bancaires, perçu comme un lieu potentiel de création et de construction. En gestion d’actifs par ex, les collaborateurs des hedges funds peuvent être surpayés mais ce au prix de sur performances permanentes, si tel n’est pas le cas ils sont licenciés. Les collaborateurs commencent à se lasser de ce modèle et regardent désormais la banque avec bienveillance si celle-ci propose des projets attractifs et un entrepreneuriat interne. Par ailleurs, le turn-over commence à s’installer chez certains acteurs de la finance tels les fonds d’investissement ou les boutiques. C’est nouveau. Dans le même temps il appartient aux banques de ne pas être prisonnière de leur passé et de savoir se réinventer, créer de la fluidité, faire preuve de flexibilité et de novation, sans s’enfermer systématiquement dans des contraintes pyramidales ou sociologiques. J’ai une chasse en cours d’un dirigeant en banque commerciale. Est short listé avec le donneur d’ordre un cadre dont le départ en retraite est programmé dans son entreprise actuelle alors que ce dernier aimerait rester en activité. Nous n’aurions jamais pu présenter un tel profil il y a quelques années. Preuve que les choses changent.
Interview réalisée le 3 juillet 2024 par Sylvie Guyony
Publié dans la Revue Banque – 895 – Septembre 2024
La banque apporte quelque chose de différent à ses collaborateurs