Identité française et technicité
La reconnaissance de l’identité française est liée à la technicité
L’avenir de la Place de Paris et la question de son attractivité ont été au cœur des échanges entre les cinq chasseurs de têtes lors de ce rendez-vous annuel.
Article paru dans l’édition du 19 Aout au 25 Septembre 2013, par Soraya Haquani.Photo: Pierre Chiquelin/Agefi.
Extraits:
L’Agefi Hebdo – L’emploi montre-t-il des signes de reprise dans la finance ?
Denis Marcadet, Vendôme Associés – C’est la grande prudence dans les BFI. Chez les françaises, si besoin, priorité à l’interne ; on note quelques recrutements ponctuels, exclusivement de profils très seniors ; il n’y a aucune vague de fond. Même constat chez les banques étrangères : de très rares embauches, principalement liées soit au coverage et à la gestion de la relation commerciale, soit à l’analyse crédit, pas de spécialistes produits, les pôles produits de ces banques étant basés à Londres. Quant à l’activité marché autrefois active, du fait d’un trading aujourd’hui absent de la place et d’équipes de ventes riches en effectifs, le calme règne.
L’Agefi Hebdo – L’attractivité de la Place de Paris en est-elle affectée ?
Denis Marcadet, Vendôme Associés – Le marché n’est pas seulement londonien, il est mondial même si, pour l’Europe, Londres prédomine. Ces derniers mois, à deux reprises, pour recruter des responsables de ligne métier, j’ai voulu faire venir des Anglo-Saxons à Paris. J’ai découvert les vertus de la promotion de la Place parisienne tant les étrangers sont freinés… Heureusement, l’essai a été transformé. Pour y parvenir, nous avons suppléé à l’office de tourisme et été jusqu’à trouver appartement et école pour les enfants. En parallèle, j’ai constaté la difficulté des employeurs face à la gestion de l’offre, notamment les éléments salariaux. L’une des chasses concernait un dirigeant d’envergure mondiale. Nous étions sur deux approches différentes. A un moment donné, le poste a failli «partir» à Londres. On ne peut pas appliquer une grille de lecture domestique sur ce type de recrutement.
L’Agefi Hebdo – Malgré les affaires impliquant des Français, comme Fabrice Tourre chez Goldman Sachs ou Bruno Iksil alias la «baleine de Londres» chez JPMorgan, les financiers français restent-ils appréciés pour leurs compétences ?
Denis Marcadet, Vendôme Associés – Je partage ce point de vue, la reconnaissance de l’identité française est liée au savoir-faire technique, c’est culturel… Notre expertise est parfaitement reconnue, nos écoles, nos formations académiques sont unanimement bien perçues, notamment dans le domaine des mathématiques. Les dirigeants français sont plus choisis comme experts métier que comme managers transversaux.
L’Agefi Hebdo – Cela signifie-t-il que les grandes banques françaises ne favorisent pas assez les parcours à l’international pour leurs cadres dirigeants ?
Denis Marcadet, Vendôme Associés – C’est une question de modèle économique. En France, la construction du modèle de la BFI depuis trente ans s’est appuyée sur des filières métiers et des spécialistes. On voulait d’abord être le «numéro un» sur sa ligne métier avant de s’intéresser à un parcours plus global. En contrepartie, on était bien rémunéré. Un modèle qui n’a plus lieu d’être aujourd’hui et qui montre ses limites. Il a certes permis aux financiers français d’exceller sur les problématiques produits, mais sans vision transversale. Loin de leurs homologues anglo-saxons qui présentent souvent un parcours et des formations très hétérogènes. Le Français aura, lui, gravi les marches de sa filière ; sa reconnaissance interne est corrélée au tryptique P&L/statut/rémunération. Ce qui ne favorise guère la mobilité fonctionnelle.
L’Agefi Hebdo – En France, est-on donc condamné à rester longtemps, voire toute sa carrière, dans un seul métier ? La crise favorise-t-elle cette inertie ?
Denis Marcadet, Vendôme Associés – La mobilité fonctionnelle est accessible à partir du moment où les niveaux et les structures de rémunération entre les métiers ne sont pas bloquants. […] Avant l’explosion des marchés, la banque proposait un parcours généraliste, une formation à ses différents métiers en préambule à une spécialisation, la transversalité était totale entre les métiers. Nombre de dirigeants bancaires ont répondu à ce type de parcours et exercé dans plusieurs métiers. Ils étaient eux-mêmes acteurs de la mobilité et servaient de modèle aux plus jeunes. Les années 90 pilotées par les marchés financiers y ont mis un terme et valorisé l’hyperspécialisation, la recherche du P&L avant toute chose, accompagnées dans ce schéma par la fonction RH elle-même, au détriment d’une vision globale, seule apte à favoriser la mobilité fonctionnelle. Vingt-cinq ans plus tard, un constat s’impose : nous manquons de dirigeants bancaires qui conjuguent une connaissance plénière des métiers avec une vision transversale, stratégique et un savoir-faire à l’international. ” […]