Le dilemme du manager : entre processus d’évaluation et réalité de la rémunération
Trouver un équilibre entre performance, rétention et reconnaissance est un défi pour les managers.
Pour beaucoup de managers, la fin de l’année est synonyme de tensions et de dilemmes, notamment lorsqu’il s’agit de l’évaluation et de la rémunération de leurs équipes. Si les processus d’évaluation des employés sont devenus de plus en plus structurés, complexes et continus, la réalité de la rémunération s’avère souvent beaucoup plus pragmatique et parfois contradictoire avec ces évaluations.
Les services RH mettent en place des systèmes de notation qui se veulent objectifs et qui reflètent la performance, l’engagement et la contribution des employés. Ces processus d’évaluation, bien que souvent fastidieux, ont pour ambition de donner une vision juste de la valeur de chaque collaborateur. Mais voilà : lorsque le moment de la rémunération arrive, le manager se retrouve confronté à une enveloppe budgétaire limitée, parfois même en baisse par rapport à l’année précédente. Et c’est ici que le dilemme prend toute son ampleur.
Face à une réalité financière contraignante, le manager doit faire des choix qui ne reflètent pas toujours les résultats des évaluations. Pour s’assurer de conserver les talents qui ont une « valeur de marché » — c’est-à-dire ceux qui pourraient facilement être débauchés par la concurrence — le manager est souvent contraint de privilégier ces profils lors de l’attribution des augmentations, même si leur comportement est parfois moins exemplaire que celui des employés plus sérieux. Cela génère également des frustrations supplémentaires parmi les employés modèles, qui se voient défavorisés malgré leurs efforts constants. Pendant ce temps, les employés les mieux notés mais considérés comme étant moins à risque de quitter l’entreprise se voient parfois octroyer des rémunérations moins avantageuses.
Cette stratégie, cependant, peut se retourner contre l’entreprise. Il arrive fréquemment que l’employé considéré comme susceptible de partir pour la concurrence finisse par quitter l’entreprise malgré l’augmentation qui lui a été accordée. Le résultat est alors doublement négatif : non seulement l’entreprise perd ce talent, mais en plus, l’enveloppe budgétaire destinée aux augmentations des employés « modèles » a été réduite pour tenter de retenir quelqu’un qui est finalement parti. Cela crée un gaspillage de ressources financières et renforce encore davantage le sentiment d’injustice parmi les employés performants mais dévalorisés.
Cette situation crée un profond sentiment d’injustice parmi les employés dits « modèles ». Pourquoi se donner à fond, atteindre tous ses objectifs, si cela ne se traduit pas par une reconnaissance financière à la hauteur des attentes ? Ce paradoxe, entre la valeur marchande d’un collaborateur et sa performance au sein de l’entreprise, reflète une contradiction inhérente à de nombreuses organisations : l’incapacité à réconcilier l’évaluation interne avec les dynamiques du marché du travail.
Alors, comment sortir de ce dilemme ? Certaines entreprises tentent d’évoluer en différenciant les enveloppes budgétaires : une partie pour récompenser la performance mesurée par les systèmes d’évaluation, une autre pour gérer les augmentations nécessaires à la rétention des talents à forte valeur de marché. Cette approche, bien que plus complexe à mettre en œuvre, permet de mieux aligner les objectifs d’évaluation et de rémunération, et d’éviter que les employés les plus performants se sentent délaissés.
Pour les managers, l’enjeu est également de maintenir une transparence et un dialogue ouvert avec leurs équipes. Expliquer les contraintes budgétaires, tout en valorisant la contribution de chacun de manière non exclusivement financière, peut permettre de mieux faire accepter certaines décisions, même si elles peuvent paraître injustes au premier abord.
En conclusion, il est essentiel pour les managers d’avoir le courage d’expliquer honnêtement à leurs équipes pourquoi il est parfois nécessaire de privilégier la rétention des talents susceptibles de partir à la concurrence, même si cela peut se faire au détriment des employés plus « modèles ». Ce n’est jamais une conversation facile, mais en communiquant de manière ouverte sur la réalité des dynamiques de marché et les contraintes budgétaires, les managers peuvent aider leurs équipes à comprendre que ces décisions sont prises dans l’intérêt de l’entreprise à long terme. Reconnaître l’injustice perçue, valoriser les contributions de chacun de manière non financière, et être prêt à écouter les frustrations peuvent également aider à maintenir la motivation et l’engagement des employés performants, malgré des décisions qui peuvent parfois sembler injustes.
Le dilemme du manager face à la rémunération est donc loin d’être simple, mais en étant plus attentif aux perceptions des équipes et en adaptant les pratiques décisionnelles, il est possible de trouver un meilleur équilibre entre performance, rétention et reconnaissance.