L’étau se resserre encore autour des bonus
Dans le cadre de recrutements, les conditions de reprise de ces primes se durcissent… sur l’initiative des banques elles-mêmes.
Par Soraya Haquani le 11/10/2012 pour L’AGEFI Hebdo
Les traders ne peuvent plus rêver aux bonus. « Les règles ont changé sous la pression des politiques, qui ont oublié que la finance est un marché complètement ouvert avec des places financières où ces contraintes ne sont pas appliquées, soupire un opérateur de marché d’une banque de financement et d’investissement (BFI) à Paris. Les bonus de mon ‘desk’ sont tributaires des résultats des autres activités de la banque, je ne trouve pas cela très juste… » Mais dans un marché du recrutement figé par la crise, ce trader, comme beaucoup de professionnels, n’est pas tenté de bouger : « Des chasseurs de têtes m’appellent régulièrement. On vient d’ailleurs de me proposer un poste à responsabilités en Suisse. Je l’ai refusé. »
C’est tout le paradoxe qui rend d’autant plus compliquées les missions des chasseurs de têtes aujourd’hui : les bonus ont eu beau subir des coupes drastiques ces dernières années, les banquiers s’accrochent à leurs postes dans un contexte où les plans sociaux dans les trois grandes BFI françaises ont conduit à la suppression de 5.000 emplois. De fait, les quelques mobilités opérées par certains financiers ne sont plus uniquement guidées par la rémunération. « L’aspect salarial, s’il reste d’actualité, est de moins en moins crucial. Avant toute chose, les professionnels cherchent à s’assurer que l’activité pour laquelle ils sont sollicités est pérenne en tant que telle, stratégique et ‘core business’ pour l’entreprise qui les sollicite, explique Denis Marcadet, président du cabinet de chasse de têtes Vendôme Associés. Ils souhaitent ensuite être rassurés sur son positionnement et les moyens humains, techniques et financiers mis à disposition. On n’attire plus avec le seul argument de la rémunération ! » « Les banquiers privilégient la qualité du projet qui justifierait un changement de poste et de maison, ajoute Raphaël Czuwak, partner chez Egon Zehnder, cabinet de chasse de têtes international. Dans l’environnement actuel, ce qui fait la différence, ce sont surtout les perspectives et le degré d’ambition de la nouvelle activité. L”upside’ salarial est un critère qui vient plus bas dans la liste des priorités. »
Part variable détenue en titres
Sur la partie variable du salaire, « la culture de l’entreprise en matière de bonus », relève Jean-François Monteil, nouveau dirigeant du cabinet de chasse Transearch, reste toutefois un point d’intérêt pour les cadres de la finance. Car après le régulateur, c’est au tour des BFI elles-mêmes de durcir leurs règles de bonus. Fin août, Deutsche Bank a frappé un grand coup en annonçant que ceux qui étaient détenus en titres par les cadres nouvellement recrutés ne seraient plus repris (et plus remplacés par des actions Deutsche Bank). Pratique jusque-là bien ancrée dans les BFI pour attirer des talents, la reprise des bonus en titres de l’ancien employeur appartient désormais au passé. « Il y a moins d’automatisme à reprendre les bonus en actions que détiennent les professionnels qui vont d’un établissement à un autre, observe Amaury La Clavière, senior consultant en banque d’investissement chez Robert Walters. Les institutions financières étudient au cas par cas mais il ne faut pas exclure que cette pratique devienne de plus en plus une exception… »
D’un autre côté, si les banquiers sont frileux, « comme leurs BFI ne peuvent ni garantir leur bonus (le bonus garanti n’est permis que pour recruter, NDLR), ni leur verser une part en ‘cash’ assez satisfaisante, leur rétention devient compliquée à gérer pour leurs employeurs, constate Florence Soulé de Lafont, partner en charge de la practice finance de Boyden à Paris. D’autant que les BFI concurrentes qui les contactent pour les débaucher peuvent, elles, garantir un an de bonus et racheter leurs bonus différés ». En outre, les BFI sont concurrencées par des structures non bancaires qui ne sont pas soumises aux règles sur les bonus.
« Les boutiques ou structures de gestion indépendantes se trouvent en position de force pour faire venir des banquiers car elles échappent à la réglementation. Et elles offrent aussi souvent un accès au capital dans le cadre d’un projet entrepreneurial. Leurs systèmes de rémunération sont très différents de ceux des BFI », souligne la chasseuse de têtes de Boyden. « Je n’exclus pas un jour de rejoindre un ‘hedge fund’ où ma performance sera rémunérée plus directement qu’elle ne l’est actuellement au sein de ma banque », glisse un jeune trader. Conscients que les entités non bancaires ne peuvent pas accueillir un grand nombre de professionnels en raison de leur taille, les DRH de BFI ne veulent pas se montrer inquiets. « Il n’y a pas de ‘dumping’ ! assure celui d’une banque d’investissement. Nos conditions d’attributions et de garantie de bonus ont changé, oui, mais il existera toujours des acteurs qui proposeront un accès au capital de leur société et qui séduiront nos collaborateurs. »
Au-delà de la crise, un autre frein est venu dernièrement geler les mobilités dans les métiers de BFI, cette fois sur le plan géographique. Il s’agit des évolutions fiscales en France liées à l’imposition à 75 % sur les revenus supérieurs à un million d’euros. « Il y a un vrai blocage pour faire venir des personnes basées dans d’autres places financières. Elles ont une perception très négative de la fiscalité et du contexte de rémunération », déplore Eric Singer, de Singer & Hamilton. « C’est un sujet très ‘bloquant’, confirme Denis Marcadet. La pression fiscale est souvent évoquée par les professionnels basés à l’étranger comme argument pour ne pas accepter un poste en France. » Une inertie qui pèse lourdement sur l’attractivité des BFI françaises en tant qu’employeurs.
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